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Salmon farm Norway

Changing markets : la position de l’ASC sur la pêche minotière et le bien-être animal

mai 26, 2021

Nous avons parcouru avec attention le rapport de Changing markets sur la responsabilité des produits de la mer issus de l’aquaculture en France. Nous sommes heureux de voir que de plus en plus d’acteurs s’intéressent à ces problématiques qui sont également au cœur du travail de l’ASC. Le rapport soulève de nombreux points qui sont inclus dans nos référentiels fermes et qui nous permettent de contribuer à améliorer l’impact de la filière aquacole. 

En accord avec les points soulevés par Changing markets, nos référentiels limitent strictement les échappées de poisson pour protéger l’intégrité génétique des populations sauvages, fixent une qualité de l’eau suffisante pour assurer la santé des poissons d’élevage et respecter l’écosystème environnant, restreignent l’utilisation d’antibiotiques et de médicament et imposent des limites sur le taux de mortalité. Le rapport de Changing markets demande également une plus grande transparence, ce qui est au cœur de tous nos référentiels. Nos référentiels Chaîne de Garantie d’Origine sont d’ailleurs dédiés à assurer le suivi des produits labellisés ASC de la ferme à l’assiette. 

En revanche, nous sommes en désaccord avec la conclusion générale et la demande de Changing markets de bannir complètement l’utilisation de farine et d’huile de poisson. Pour nous, cette solution peut sembler attirante par sa simplicité mais elle ne prend pas en compte la complexité de la réalité.

Position de l’ASC sur l’utilisation des farines et huile de poisson pour l’aquaculture

Si elle est bien gérée, la pêche peut être une activité durable et maintenir une ressource renouvelable. Pour cette raison, l’approche de l’ASC est de promouvoir la gestion responsable de la pêche minotière, plutôt que son abandon.

Certaines espèces élevées en aquaculture étant carnivores, comme le saumon, les protéines animales d’origine marine sont un ingrédient clé dans beaucoup d’aliments utilisés en aquaculture. Elles apportent des nutriments essentiels pour la croissance et le développement des poissons et améliorent ses qualités gustatives. Néanmoins, ces protéines proviennent majoritairement (mais pas uniquement) de la pêche minotière et lient donc l’aquaculture aux problèmes sociaux et environnementaux que peuvent poser ces pêcheries. C’est pour cela que de plus en plus d’acteurs de la filière souhaitent réduire la quantité de farines et huiles de poisson utilisées dans l’aliment, et parfois même supprimer entièrement ce type de matière première de l’alimentation aquacole, à l’instar de Changing markets. L’idée sous-jacente est qu’une fois affranchie des problèmes liés à la pêche minotière, l’aquaculture pourra être « responsable ». 

Beaucoup de choses ont changé depuis les débuts de l’aquaculture sur ce sujet. Alors que le régime alimentaire d’un saumon d’élevage en 1990 était composé de 85 à 90% de farine et d’huile de poisson, l’aliment du saumon inclut généralement moins de 20% [1] de ces protéines animales d’origine marine. Grâce à cette réduction, toute l’industrie de l’aliment aquacole a triplé ces vingt dernières années (de 14 millions de tonnes en 2000 à 46 millions de tonnes en 2020) alors que l’apport de farines et huiles de poisson par la pêche minotière est resté constant [2]. Cela signifie que chaque tonne d’aliment aujourd’hui inclut beaucoup moins de poisson sauvage qu’en 2000 (ou plus tôt). 

Les fermes certifiées ASC sont particulièrement engagées pour réduire la part des farines et huiles de poissons présentes dans l’aliment. Comme le montre l’infographie ci-dessous, extraite du rapport d’impact de l’ASC, le taux moyen de farine de poisson dans les fermes de saumon ASC a diminué de 15,4% à 12,3% en trois ans seulement, et le taux moyen d’huile de poisson est passé de 10,1% à 8,7%. Dans le même temps, le taux moyen de farines de poisson dans les fermes de crevette certifiées a diminué de 18,2% en 2015 à 12,7% en 2018. 

Amélioration farines huiles poisson

Ces résultats sont très encourageants, mais ne nous empêchent pas d’être réalistes face aux problèmes de l’industrie des ingrédients d’origine marine. Comme beaucoup de cas l’ont illustré, cette industrie a pu causer des torts sociaux et environnementaux dans plusieurs régions du monde. Ces problèmes ont souvent des causes multiples et alourdissent parfois des situations déjà problématiques, notamment dans les pays du Sud économique. L’absence de régulation ou de l’application de cette régulation ouvre la voie à de nombreux abus par des acteurs locaux ou étrangers, allant de la surpêche à des violations parfois sévères des droits du travail et des droits de l’Homme.

Une réponse simple, en apparence, pour faire face à ces dérives et promouvoir une aquaculture plus responsable, serait d’abandonner entièrement ces industries. Cela peut sembler attirant, mais ne règlerait, hélas, pas le problème. Au contraire, si à l’ASC nous n’aurions effectivement plus à nous soucier des questions de durabilité de la pêche minotière, celles-ci demeureraient les mêmes, mais sans l’incitation apportée par l’ASC à améliorer l’impact social et environnemental de ces pêcheries. Il y a donc un compromis à faire. Abandonner la pêche minotière et les ingrédients d’origine marine permettrait de « verdir » la filière aquacole sur ce point précis, mais cela ne réglerait pas le problème de fond. L’autre option est de rester impliqué dans ce type de pêcherie pour être moteur de changement positif, tout en réduisant la part des ingrédients d’origine marine dans l’aliment aquacole afin de trouver l’équilibre qui réduira au maximum son impact social et environnemental. Ce n’est pas la direction la plus simple mais nous sommes persuadés que ce sera la plus efficace puisque cela permet de lier la demande sur ces marchés sensibles avec les réalités de l’offre.  

Pas de poisson, pas de problème?

Pour régler les problèmes de l’aquaculture, on pourrait penser qu’il faudrait abandonner tous les ingrédients d’origine animale marine, afin de détacher les problèmes de l’aquaculture des problèmes de la pêche minotière. Cela nécessiterait de remplacer cette source de protéines pour combler les besoins  nutritionnels des espèces aquacoles. Au-delà des différences nutritionnelles entre les farines et huiles de poisson et les sources alternatives (soja, algues, insectes, protéines animales terrestres etc.), cette suggestion laisse généralement de côté une réflexion plus profonde sur les conséquences systémiques de ce changement. Aujourd’hui, environ 75% [3] des ingrédients utilisés en aquaculture proviennent de l’agriculture (soja, blé, maïs, canola, tournesol, arachide, tapioca, lupin, pommes de terre, etc.). Abandonner les ingrédients d’origine marine, c’est mettre une pression supplémentaire sur ces ressources pour combler le vide, et ces industries ont également leurs propres problèmes (déforestation, utilisation de pesticide, eutrophisation des eaux à cause de l’utilisation de fertilisants, pertes de biodiversité, érosion des sols etc.). 

L’objectif de l’ASC, plutôt que de supprimer l’une des matières premières, est de réduire simultanément les impacts de toutes ces industries, et s’assurer que 100% des ingrédients  de l’aliment sont suivis et proviennent de sources renouvelables et gérées de manière responsable, qu’il s’agisse d’ingrédients d’origine terrestre ou marine. L’objectif n’est pas encore atteint, mais les fermes certifiées ASC montrent déjà des progrès importants et le nouveau référentiel sur l’aliment aquacole en cours de finalisation va permettre à l’ASC et aux fermes aquacoles qui agissent avec nous d’aller beaucoup plus loin et d’améliorer encore l’impact des produits de la mer issus de l’aquaculture, sans tomber dans des solutions trop simples dont nous ne maîtrisons pas les conséquences. Suite à ce nouveau référentiel les fermes aquacoles certifiées devront s’assurer que tous les ingrédients utilisés par leurs fournisseurs dans l’aliment aquacole proviennent de sources socialement responsables et environnementalement durables, que cette source soit terrestre ou marine. C’est la première fois qu’un tel référentiel sera mis en place. Il entraînera la pêche minotière vers plus de durabilité et de transparence, et permettra également l’amélioration de plusieurs autres filières agricoles qui ne sont pas incluses dans le rapport de Changing markets mais méritent également notre attention.

En prenant en compte ces considérations, la position de l’ASC sur l’utilisation des ingrédients d’origine animale marine est d’inciter à la fois la pêche minotière et l’aquaculture qui en dépend à répondre aux enjeux sociaux et environnementaux de l’aliment aquacole, plutôt que de les laisser de côté, et d’utiliser la prise de conscience des consommateurs comme moteur de changement. 

Concrètement, cela signifie que:

  • L’ASC souhaite faire face aux problèmes et contribuer à leur résolution plutôt que de s’en détourner en les laissant irrésolus
  • L’ASC reste un moteur de la demande pour des ingrédients d’origine marine plus responsables
  • L’ASC impose des limites strictes dans la part de protéines d’origine marine utilisées dans l’aliment aquacole, mais sans les interdire
  • L’ASC impose que les farines et huiles de poisson utilisées proviennent de source gérées de manière responsable
  • L’ASC ne limite pas son action aux ingrédients d’origine marine mais également à tous les ingrédients d’origine terrestre
  • Afin d’aller plus loin sur ce sujet, un référentiel sur l’Aliment pour améliorer le suivi de tous les types d’ingrédient utilisés par l’aquaculture et s’assurer qu’ils proviennent bien d’une source renouvelable et gérée de manière responsable

Position de l’ASC sur les problèmes liées au bien-être animal

Les référentiels de l’ASC incluent de nombreux critères qui concernent le bien-être animal. Les fermes certifiées doivent maintenir les espèces qu’ils élèvent en bonne santé, et de nombreux critères permettent de vérifier ces aspects, à commencer par le taux de mortalité, qui doit être limité, l’obligation de faire contrôler la santé des poissons par un spécialiste au moins tous les mois, des contrôles de la qualité de l’eau ou l’interdiction de l’utilisation préventive de traitements médicamenteux. Couplé à une limite sur le taux de mortalité, cela force les fermes aquacoles à maintenir leurs animaux en bonne santé naturellement. Les fermes ont également une obligation de transparence et doivent déclarer les décès ou les maladies des espèces élevées.

Cette exigence de transparence, l’ASC se l’applique également à elle-même. Tous les référentiels que nous élaborons sont disponibles sur le site internet, de même que tous les rapports d’audits de toutes les fermes entrées dans notre programme, partout dans le monde. 

Cependant la recherche est encore récente sur le sujet et nous sommes conscients qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. C’est également pour cela que nous sommes en train de mettre en place un référentiel spécifiquement dédié au bien-être animal et incluant des critères scientifiques et mesurables pour améliorer cet aspect encore trop peu pris en compte dans l’aquaculture. Ce référentiel va être créé avec l’aide d’experts, de chercheurs et d’ONG spécialisées dans le bien-être animal afin de refléter les meilleures pratiques et les dernières avancées de la Science. Ce référentiel nous permettra d’avancer un peu plus sur le long chemin vers une aquaculture plus responsable. 

[1] Trine Ytrestøyl, Turid Synnøve Aas, Torbjørn Åsgård, Utilisation of feed resources in production of Atlantic salmon (Salmo salar) in Norway, Aquaculture, Volume 448, 2015, Pages 365-374, ISSN 0044-8486, https://doi.org/10.1016/j.aquaculture.2015.06.023.
[2] Jillian P. Fry, David C. Love, Graham K. MacDonald, Paul C. West, Peder M. Engstrom, Keeve E. Nachman, Robert S. Lawrence,
Environmental health impacts of feeding crops to farmed fish, Environment International, Volume 91, 2016, Pages 201-214, ISSN 0160-4120, https://doi.org/10.1016/j.envint.2016.02.022
[3] Tacon, A.G.J.; Hasan, M.R.; Metian, M.; Demand and supply of feed ingredients for farmed fish and crustaceans: trends and prospects; FAO Fisheries and Aquaculture Technical Paper No. 564. FAO, 2011. 87 pp. http://www.fao.org/3/ba0002e/ba0002e.pdf

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